Magnifique récit sur le carnaval dunkerquois


Avec l'aimable autorisation de l'auteur Patrick Misse, je vous propose de découvrir ses premières impressions sur le carnaval de Dunkerque... un très beau récit. 

« Ben qu’est-ça dit ? »
Carnaval de Malo les bains, 10 février 2008


Une légende raconte que les anciens pêcheurs, avant de s’embarquer pour un voyage périlleux vers les bancs de morues de Terre Neuve, s’offraient, à l’occasion du carnaval, une soirée de défoulement où ils se déguisaient en femmes (morues ?)

La tradition se perpétue de nos jours et se propage en février, de quartier en quartier, enflammant la bonne ville de Dunkerque durant plusieurs semaines. 
Notre famille d’accueil, presque notre famille tout court, nous guide cette année dans son carnaval de quartier de Malo Les Bains.
« Mets ton beste kle’che » : nous sommes grimés et déguisés à l’aide de fourrures, de boas et de perruques blondes. Jean Luc, Didier et Patrick mutent en Jeanne, Didine et Patricia tandis que Brigitte, Généreuse et Véro sont enjolivées par leurs costumes. 
Mets ton beste clèt'che
On va faire un beurt'che
On ira aux claqu'...aux claqu'...
Aux claqu'...aux claque beusses

La marée humaine débute le matin par un rassemblement folklorique appelé « pré bande ». En tête, le tambour major d’empire dirige l’orchestre revêtu du ciré jaune des marins, suivi de la pré bande qui conduit des géants de carton pâte à la mairie, où Reuze, le guerrier géant qui a empêché les vikings de piller Dunkerque, va s’unir à Mietje, sur un parterre de violettes. Ils sont entourés par leurs trois enfants et leurs six gardes, tous géants d’osier. 
« Ca va ma tante ? » me demande une passante, « ça va » dis-je, surpris, à l’inconnue. Mes amis rient et m’expliquent « Pendant le carnaval, nous sommes tous cousins, on se barbouille les visages de rouge à lèvres en se faisant des zôt’ches (bisous) » A ce moment, Ségolène, trois ans, dans sa poussette demande « Mais pourquoi je n’ai pas autant de bisous, moi ! » Alors chacun lui donne un zôt’che et son visage rougit aussi de bonheur. Le carnaval lui offre déjà son premier rire. Sera-t-elle la plus jeune kakernesches ? (carnavaleuse ?) Nous nous insérons dans le déluge de couleurs qui défile le long des rues ; devant nous une grand-mère encourage son petit fils d’environ cinq ans à « pousser » quand la marée humaine entre en contact, créant une zone de turbulence appelé « chahut », et on voit le petit bonhomme pousser de toute ses forces des colosses cinq fois plus volumineux que lui. Derrière nous, une bande d’adolescentes est aussi incitée par une ancienne à amplifier le mouvement. C’est ainsi que se perpétuera le carnaval de Dunkerque, car ici, ce ne sont pas quelques individus qui défilent sur des chars, c’est tout un peuple, du bébé au vieillard, qui communie avec la mer.
« Ben qu’est-ce qu’on chante ? » l’orchestre joue les chants du carnaval et la foule reprend en cœur les rengaines dont certaines sont même apprises à l’école (comme quoi l’enseignement sert parfois dans la vrai vie !). L’orchestre joue les partitions, rythmées les pauses dans chaque bar qui jalonne le chemin.
A Dunkerque quand vient le carnaval,
on est tous joyeux comme des cigales,
on se grime on s'mets de la peinture,
on s'en fout plein la figur',
on s'habille avec de vieux habits et l'on sort son grand parapluie.
Avec tout ça on est paré pour le Carnaval et le boulot ben on s'en fiche pas mal.
On est heureux, on est heureux, elle peut dire tout ce qu'elle veut mais dans la bande on est heureux
On est heureux, on est heureux, elle peut dire tout ce qu'elle veut mais nous on est heureux

A un carrefour, un policier bloque le passage aux véhicules mais sa propre voiture est garée sur la voie de circulation restante ! Nous nous moquons gentiment quand soudain Marco se détache de notre groupe. Va-t-il lui faire la leçon ? Nous nous rapprochons et découvrons qu’en fait il essaie de louer la paire de menottes du pandore pour son ami Jean-Luc ! Et le policier sourit ! L’ambiance, les paroles des chansons, les klet’ches sont si loufoques que plus rien ne nous étonne, nous sommes entrés dans un autre monde, celui du carnaval de Dunkerque !
Les géants mariés, nous savourons une bienvenue pause déjeuner chez nos hôtes. Puis nous repartons en quête de la « bande » : « Avez-vous vu la bande ? » demandons nous à chaque coin de rue. A chaque coin du chemin, nous découvrons des groupes aux tenues parfois très étudiées : ici une famille « légume », là un troupeau de vaches, plus loin un landau fleuri sur lequel veille un père habillé de mille capsules de bouteilles, partout des hommes femmes aux chapeaux fleuris, aux bas résilles, et aux visages maquillés, des hommes corsaires ou des hommes n’importe quoi. Les femmes ont de superbes costumes. Tout le long de notre « pèlerinage » nous découvrons sur des balcons des « chapelles », où les Dunkerquois font « porte ouverte » : tout le monde peut entrer, se restaurer et boire, à condition de respecter le lieu. Sortant d’une chapelle, nous découvrons monsieur le maire, à la dérive sur un trottoir, perdu dans son monde, mais qui sursaute toutefois quand François Xavier rappelle sa fille : « Ségolène, n’embête pas monsieur Delebarre ».
« Ben qu’es ça dit ? » « La bande est passé par ici, elle repassera par là… »
« Est-ce que t'as pas vu la bande (Ter)
Elle est chez Stanche (ter)
Elle est au sec ! »

En fait nous la découvrons sur le front de mer où elle déferle telle une puissante vague. Ce n’est plus la marée tranquille du matin car les carnavaleux de la nuit se sont réveillés, certains sont depuis plusieurs semaines en fête, et même ils ne sont pas couchés pendant les trois joyeuses de la semaine précédente (le carnaval de Dunkerque, de la Citadelle et de Rosendael) . Leur force entre maintenant dans la vague. Ben qu’est ce que cette fameuse bande ? La voilà : à perte de vue, il y a des centaines de lignes de carnavaleux, liés les uns aux autres, qui défilent en chantant et en … poussant. A sa fenêtre une dunkerquoise lance des barres chocolatées à la foule, plagiant monsieur Delebarre qui a lancé des harengs et des homards à la foule amassée devant sa mairie la semaine dernière. Pendant ce temps, Didi harangue la foule, juché sur un pot de fleur en ciment, lui demandant de poser devant son appareil photo. Pour son premier carnaval, il est aussi à l’aise qu’un vieux carnavaleux, et ça marche, il photographie à tout va, bien que ma vieille voisine me glisse « Ta vu cette vieille vamp , elle est gonflée ! » Nous restons juste au bord, mais une vague impressionnante déferle soudain sur nous, brisant tout sur son passage. Je prend Ségolène dans mes bras, mais la déferlante va écraser Nathalie, la superbe rousse, et le bébé dans sa poussette. Soudain une voix rugit dans la bande : « poussette » ; la vague se tend, suspend son avance et évite le bébé. Jean-Luc incite un athlétique indien sur le sentier de la guerre à embrasser Nathalie encore effrayée, mais celui ci sourit et passe son chemin.

Donne un zô a ton oncle cô qui revient d'islande
De son wamme t'auras un morceau s'il est bien tendre.

Alertés, les enfants restent à l’écart de la vague tandis que nous formons une bande et nous nous insérons dans le défilé. L’ambiance est bon enfant, nous participons sans dommage aux vagues successives, chantant et admirant la foule bigarrée, faisant corps avec une bande de croque morts à l’humour d’outre tombe qui offrent à boire aux assoiffés à l’aide d’un tuyau. Les parapluies et les plumeaux se hissent haut dans l’azur. La plage est belle et se rie de notre passage, car elle en a vu bien d’autre. 
Ah c'qu"ils sont bons quand ils sont cuits les macaronis', les macaronis, les macaronis,
Ah c'qu'ils sont bons quand ils sont cuits les macaronis, les macaronis quand ils sont cuits
Ah c'qu'il est beau quand t'es au lit ton macaroni, ton macaroni, ton macaroni,
Ah c'qu'il est beau quand t'es au lit ton macaroni. Ton macaroni, quand t'es au lit.
(suite sur demande)

Nous rentrons nous reposer et poser, hélas, sur la grève de la gare et du carnaval, Véro et Didier, qui doivent regagner Lyon, loupant le rigodon !
Le rigodon d’honneur qui sonnait le rassemblement des soldats de l’empire, rassemble aujourd’hui les dunkerquois sur la place centrale de Malo. Au cœur du cyclone, les musiciens jouent, entourés de bandes qui tournent, créant une tempête endiablée, observée par des milliers de spectateurs, car il faut avoir une âme bien trempée pour oser se jeter dans la mêlée ! Nous regardons le rigodon au milieu de la foule. Alain, breton, le grand père d’Astrid, le père d’Anne, est le seul d’entre nous à ne pas être déguisé, ce qui incite un grand nombre de carnavaleux à s’arrêter pour lui faire un zôt’che. Ce geste me touche car il témoigne de l’esprit d’accueil et d’ouverture des gens du Nord . Allons nous nous aventurer dans le cyclone ? « Nous n’avons pas les chaussures renforcées pour éviter d’être écrasés » souligne Brigitte. Mais Patrick entraîne Marco dans le sillage de Philippe et ils entrent dans une « Valse à mille temps » qui se déchaîne. Je retrouve mes bains méditerranéens sous drapeau rouge où la mer règne en maîtresse et où il n’est pas question de la dominer, mais simplement d’accompagner ses déferlements sans faire la moindre erreur. J’aime. Mais Marco, mon capitaine corsaire, trouve que la bande est trop irrégulière, trop cassante et, manquant d’assurance, (ce qui est un comble), m’entraîne vers la sortie. Nous rejoignons nos compagnons, encore sous le charme de cette expérience. Là nous écoutons les chants qui se succède jusqu’au final, où toute l’agitation se transforme soudain en recueillement pour chanter la cantate à Jean-Bart. Le silence s’installe, certains s’agenouillent, et, du plus profond de l’âme des milliers de carnavaleux, s’élève l’émouvant hymne des dunkerquois :

« Jean Bart, Jean Bart, salut à ta mémoire, 
de tes exploits tu remplis l'univers
ton seul aspect commandait la victoire, 
et sans rival tu régnas sur les mers.
Jusqu'au tombeau France Mère adorée 
jalouse et fiere d'imiter ta valeur.
Nous défendrons ta bannière sacrée, 
sur l'océan qui fût son champ d'honneur… »

Merci à toutes mes « tantes » dunkerquoises et d’ailleurs pour leur accueil et surtout à nos hôtes. 

Un gros zôt’che à tous les carnavaleux

Patrick Misse


Patrick Misse est né à Oran en 1956. Rapatrié à Béziers, il se passionne dès l’enfance pour la lecture et la narration d’anecdotes humoristiques. Interne des hôpitaux, Médecin ophtalmologiste, lauréat de la Faculté de Montpellier, Prix de thèse Fontaine et Midi Libre, il s’est installé à Sète, sa ville de cœur, où il exerce depuis plusieurs années. Les circonstances de la vie l’ont amené à s’intéresser à des enfants incompris, souvent en souffrance, injustement rejetés. Intervenant dans des congrès, il a recueilli des témoignages poignants qui seront à l’origine des "Parias d’Aubenas", un premier roman dont les héros sont ces enfants dits "précoces".

Commentaires

Anonyme a dit…
Les lyonnais qui rejoignent le carnaval depuis maintenant 4 ans retrouvent dans ton texte toute la chaleur et l'énorme enthousiasme de la pré bande et de la bande. Nulle part ailleurs un carnaval entraîne le monde comme celui ci et le coeur triste ne peut que se laisser emporter par cette vague nordiste. Bisous à tous les nordistes.

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